Mercredi écriture – De la difficulté d’écrire les premiers chapitres

«On peut tout corriger, sauf ce qui n’existe pas.»

(Cet article reprend en partie une publication que j’avais faite sur Instagram il y a quelques mois, donc si vous avez une sensation de déjà-vu… c’est normal! ^^)

 

Il y a quelques semaines, dans son groupe Facebook Les Masterclass de Roxane Dambre, la très talentueuse Roxane a exposé une description des différents profils de romanciers, au nombre de trois : les architectes, les jardiniers et les archéologues.

Les architectes font des plans hyper détaillés. Ils ont besoin d’un plan précis, besoin de savoir où ils vont, comment ils y vont, etc. et ne peuvent pas commencer l’écriture tant que tous les détails de leur histoire ne sont pas clairement établis.

Les jardiniers sont plutôt à l’opposé. Ils se lancent en freestyle absolu, avec juste un début d’idée. Ils cultivent leur idée et la regardent grandir, se laissent porter par elle.

Les archéologues, quant à eux, se lancent avec une idée et planifient rétroactivement, au fur et à mesure qu’ils avancent et que les idées leur tombent dessus.

Bien entendu, comme le précise très justement Roxane, chaque romancier possède un peu des 3 profils, avec une préférence marquée pour l’un ou pour l’autre, et ce trait peut changer en fonction du moment, du roman, des besoins du moment.

*

Je ne m’en suis jamais cachée, je n’ai jamais été capable de faire des plans, d’imaginer mon histoire jusqu’au bout, de définir mes personnages avant même d’avoir écrit la première ligne – et j’admire, profondément, et sincèrement, les écrivains qui le sont. J’aime à le dire, je suis une adepte de ce que Jo Ann appelle le «à la wanagain freestyle a bistoufly». Autrement dit, je suis surtout jardino-archéologue, mais en pire. Écrire, pour moi, c’est avant tout découvrir l’histoire, les personnages, leurs aspirations, leurs désirs secrets, leurs faiblesses. C’est un processus d’essai-erreur permanent, à base de bouts de papier et de ratures, de chapitres supprimés et de points de vue abandonnés, de moments de découragement et de moments d’illumination  – et un processus qui m’est absolument et complètement nécessaire. J’ai lu un jour un témoignage d’une auteure qui disait que pour elle, le premier jet est le moyen d’identifier le mode de narration qui servira le mieux l’histoire. C’est exactement le cas pour moi – et plus encore : le premier jet est aussi (et surtout, j’ai envie de dire) le moyen de découvrir l’histoire qui se cache derrière tous mes petits bouts de papier et toutes mes ratures.

Mon premier jet est donc généralement illisible : comme je me lance souvent avec à peine un début d’idée et une vague ébauche de mes personnages, je change d’avis toutes les trois pages, j’ai du jaune et des barres obliques partout pour marquer les points à creuser ou à changer, j’ai même parfois des phrases en anglais quand je n’arrive pas à trouver la tournure qui rend ce que je veux dire en français (le problème de vivre à moitié en anglais…). Le plus souvent, mes chapitres n’ont aucune cohérence, mes personnages ne sont plus du tout les mêmes entre le début et la fin, le style de narration change d’un chapitre à l’autre… Mais quand je finis mon premier brouillon (ce qui peut me prendre *beaucoup* de temps), je sais enfin non seulement qui sont mes personnages et quelles sont leurs motivations, mais aussi – et surtout – comment, moi, je veux raconter mon histoire. C’est alors que je reprends depuis le début, et que je réécris ce qui ne va pas pour essayer d’en faire quelque chose qui va.

*

Il y a une anecdote que j’aimerais vous raconter, pour illustrer ce propos, un événement qui a été pour moi comme une révélation avant l’heure, et dont l’enseignement que j’ai tiré se confirme à chaque fois.

Il y a quelques années, je visitais l’atelier d’un sculpteur sur marbre très talentueux, du côté de chez mes beaux-parents, et j’ai eu l’immense privilège de discuter de son art avec lui. Je n’écrivais pas encore à l’époque, mais la sculpture m’a toujours fascinée, et touchée d’une manière plus profonde que la peinture ne l’a jamais fait, alors j’écoutais ce qu’il avait à dire avec beaucoup d’intérêt. Et il m’a fait la remarque suivante : «mon travail, en tant que sculpteur, c’est uniquement de dévoiler la sculpture. Je ne la crée pas, l’œuvre est déjà là, dans le bloc de marbre, avant même que je ne l’amène dans mon atelier. Je me contente d’enlever le surplus de matière pour la rendre visible au reste du monde.»

Je n’ai jamais oublié ses paroles, parce que je pense que pour moi, c’est exactement la même chose. Les personnages, l’histoire que je veux raconter, existent déjà quelque part dans mon esprit, dans cet univers fictif qui occupe tout l’espace dans ma tête. Ils sont là, et il faut juste que je parvienne à les voir, à discerner leurs traits, leur silhouette, pour pouvoir en retirer toute la matière superflue. Et ma méthode à moi, pour y parvenir, c’est d’écrire, et de réécrire, beaucoup. Jusqu’à ce que les choses coulent toutes seules, jusqu’à ce que je sente, dans le creux de mon ventre, cette excitation, ce sentiment si particulier à l’écriture (peut-être même à la création artistique en général) qui me fait dire «ok, c’est ça. C’est exactement ça.» Alors je sais que j’ai mis le doigts sur un point important – et comme dans un puzzle, tout se met en place ensuite, et je me demande comment je ne l’avais pas vu avant.

*

Je ne vous le cache pas, c’est un processus qui est parfois (souvent) frustrant et extrêmement chronophage, mais c’est le mien. J’ai bien essayé de faire autrement, mais je n’y arrive pas. La dernière fois que j’ai fait un plan, il a explosé au chapitre 2. Sur 37. Pourtant, j’ai essayé de recommencer, encore et encore, de faire des plans, de faire des fiches de personnages, de me mettre dans la peau d’un architecte. D’imaginer, de visualiser. En vain. Je perdais finalement plus d’énergie à essayer de rentrer dans un modèle qui ne me convenait pas. Alors, enfin, au bout de six ans, j’ai fini par en prendre mon parti, et cessé de vouloir aller à contre-courant de moi-même et de mes instincts. Et j’accepte d’écrire du mauvais, pour pouvoir ensuite faire du bon.

Parce qu’au final, il n’y a pas de bonne ni de mauvaise méthode. Il n’y a que des individualités, des unicités, des artistes qui veulent s’exprimer, de la manière qui leur correspond.

Et c’est bien tout ce qui importe, en fin de compte.

 

***

 

Un grand merci à Roxane de m’avoir autorisée à reprendre ses propos. Si vous aussi, vous voulez rejoindre le formidable groupe Les Masterclass de Roxane Dambre, afin d’avoir le soutien et l’aide de romanciers débutants ou confirmés, je vous renvoie sur son site internet !! Tout y est !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *