Mercredi écriture – La Muse, cette Arlésienne

Où l’on apprend que je n’ai ni talent ni imagination, et que je compense en travaillant deux fois plus…

(Ceci est un article auquel je réfléchis depuis un moment, et qui, j’espère, encouragera toutes celles et tous ceux qui n’osent pas se lancer parce qu’ils pensent ne pas avoir le talent qu’il faut pour écrire une histoire…)

J’ai commencé à écrire « sérieusement » (si l’on peut dire *tousse tousse*) en 2012 (my god, ça fait déjà 8 ans ! J’ai l’impression que c’était hier !).
Avant d’écrire, j’avais cette idée que pour être artiste, il fallait nécessairement avoir l’inspiration divine, le feu sacré – et qu’ensuite, tout venait tout seul. Dans ma tête, le romancier était une personne écrivant dans une sorte de fièvre frénétique à la limite de la transe, sans quasiment avoir conscience de ce qu’il couchait sur les pages (ouais. L.O.L., hein).
Pendant longtemps, donc, j’ai été persuadée qu’écrire n’était pas pour moi. Que je n’y arriverai jamais. Que j’étais trop cartésienne pour ça. Je ne me voyais pas (et ne me voit toujours pas, d’ailleurs, si je suis 100% honnête) comme une artiste. Une part de moi était romantique et rêveuse, certes, mais je vivais dans une bulle issue de l’imagination des auteurs dont je dévorais les romans, pas de la mienne. Jamais de la mienne. Je n’arrivais tout simplement pas à créer quoi que ce soit de bon (et ce n’était pas faute d’essayer). (Pour la petite histoire, je me souviens d’une tentative d’émuler, à 18 ans, les romans Harlequin que je lisais…. j’espère que ce cahier a brûlé quelque part, tellement je ne l’assume pas du tout. C’était mauvais!! Mais mauvais!!). À tous ceux qui me demandaient pourquoi je traduisais, pourquoi je n’écrivais pas, je répondais que c’était par fainéantise, parce que c’était plus facile de travailler sur quelque chose de déjà écrit que de créer quelque chose de toutes pièces, mais la vérité, c’est que j’étais persuadée au fond de moi que je n’avais juste pas ça en moi. Que j’étais tout simplement incapable d’écrire. Tous ces cahiers de brouillons qui s’entassaient, remplis d’histoires vraiment mauvaises, étaient la preuve que j’étais loin d’avoir ce qu’il fallait pour devenir une écrivaine.

Alors j’ai abandonné l’idée, tout simplement.

Et puis, un jour, il s’est passé quelque chose dans ma vie, et j’ai eu envie, besoin d’écrire, d’essayer encore, et au diable mon manque d’imagination. C’était pour moi, juste pour moi, de toute façon. On s’en foutait si c’était mauvais. J’en avais besoin, c’était tout ce qui comptait.
Et c’est là que j’ai découvert qu’on pouvait très bien ne pas avoir beaucoup d’imagination (ou de talent inné) et réussir quand même à écrire de jolies histoires. Qu’on pouvait très bien ne pas avoir d’idées plus loin qu’une simple scène, et malgré tout, mot par mot, page par page, arriver au bout d’un roman entier – et que ce roman plaise, de surcroît.
Cela demandait juste plus de travail et plus de détermination, c’était tout.

On ne peut pas attendre que l’inspiration vienne. Il faut courir après avec une massue.
– Jack London.

L’imagination, tout comme la plume, c’est un muscle qui se travaille. Et plus on le travaille, ce muscle, plus les mots et les idées viennent facilement. Je me souviens de mes premières tentatives, lorsque j’ai réessayé d’écrire – ce n’était pas beau à voir, et vraiment pas meilleur que mes tentatives ratées d’adolescente (mon « vrai » premier roman, une réécriture de Cendrillon commencée en 2012, à jamais inachevée, restera bien sagement dissimulé au fond de mon ordi, c’est une évidence)! Je manquais d’expérience, de technique, de pratique – et ça se voyait tellement, mais tellement !
C’était normal, après tout. Je n’étais encore qu’un bébé écrivain, qui voulait écrire, certes, très très fort… mais qui n’avait pas de talent ni la moindre idée de comment on faisait (d’aucuns diraient que je ne sais toujours pas, à en lire mes précédents billets sur l’écriture… ^^).

Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
– Nicolas Boileau

J’ai suivi les conseils de messieurs London et Boileau. Je suis allée chercher l’inspiration (et l’expérience) armée de ma massue et vingt (cent) fois sur le métier j’ai remis mon ouvrage, ma meilleure amie (et bêta depuis toujours) pourra en témoigner.
Parce que la vérité, c’est que le talent, ce n’est pas (toujours) inné. Ce que l’on appelle talent est en fait, bien souvent, le résultat de beaucoup, beaucoup de travail (je ne dis pas qu’il n’existe pas des personnes qui l’ont, ce talent, cette capacité innée à écrire des histoires, à créer des mondes, des histoires de grande envergure. Il en existe, j’en connais, et je les admire, profondément. C’est juste que ce n’est pas tout le monde).

Je me souviens d’une anecdote que m’a raconté mon cousin, un jour. Un dessinateur à qui l’on demandait combien de temps il lui avait fallu pour réaliser le dessin qu’il venait de croquer à main levée, a répondu “Vingt ans” (ou une durée équivalente, je ne me souviens plus exactement). Parce que le talent, la capacité de réaliser quelque chose d’abouti, est le résultat de plusieurs années de pratique, d’exercices, d’échecs aussi – surtout, même, car on n’apprend jamais aussi bien que dans l’échec. Je pense qu’ils sont rares, ceux qui réussissent quelque chose du premier coup, sans jamais s’être entraîné.

Ce que je veux dire, avec ce billet, c’est que tout se travaille, absolument tout, même l’imagination. Avec de la persévérance, on peut réussir à faire beaucoup de choses. Écrire un roman en fait partie – j’en suis la preuve vivante.
Au début, trouver la clé pour étoffer une scène, développer un point d’intrigue, enrichir un personnage me prenait systématiquement un temps fou. Il m’arrivait souvent d’écrire un paragraphe, de m’arrêter parce que je ne savais pas comment continuer. Puis j’en écrivais un autre, et je m’arrêtais encore. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que j’ai un chapitre, puis un autre, puis encore un autre. Je ne vous dirais pas combien de temps il m’a fallu pour écrire la première version de Parce que c’est toi, qui ne faisait qu’à peine 35 000 mots à l’époque, ni combien de versions ont existé avant celle que j’ai soumise à l’éditrice des Éditions Laska.
Et puis, à force de pratique, les idées ont fini par venir plus rapidement, les mots n’étaient plus aussi difficiles à atteindre, les connexions sont devenus plus évidentes. Aujourd’hui, 8 ans après avoir couché mes premiers mots sur le papier, écrire est devenu plus facile.
Le mot clé, dans cette phrase, étant « plus ».
Parce que je n’ai toujours pas le feu sacré, toujours pas de talent inné. Et parce que l’inspiration vient toujours pas toute seule, la bougresse. Je lui cours toujours après avec une massue – et je remets toujours beaucoup, beaucoup de fois mon ouvrage sur le métier. Je continue, et continuerai probablement toute ma vie, à ramener l’inspiration de force en la traînant par les cheveux, à triturer les idées dans tous les sens jusqu’à en sortir le meilleur, à analyser les personnages jusqu’à en connaître toutes les zones d’ombre, et à écrire et réécrire mes histoires un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce qu’elles coulent si bien qu’on dirait qu’elles se sont écrites toutes seules – ce qui est rarement le cas, sachez-le. Derrière toute histoire qui semble couler toute seule, il y a des heures de travail et pas mal de poignées de cheveux arrachées pour trouver le mot juste, la tournure de phrase idiomatique, celle qui fera mouche chez le lecteur.
Mais vous savez quoi ? C’est correct. Je sais aujourd’hui que ce n’est pas parce que je n’ai pas de talent inné que je ne peux pas le faire (et devoir travailler et batailler pour chaque mot, pour chaque point d’intrigue, ne fait pas de moi une romancière moins légitime que les autres, cf le syndrome de l’imposteur). Je peux le faire, parce que je veux le faire. Parce que inné ou pas, écrire fait aujourd’hui partie de moi au point que je n’envisage pas de revenir en arrière, à l’époque où je disais que je préférais traduire le travail de quelqu’un d’autre, plutôt que de créer le mien, par peur de ne pas y arriver. Parce qu’on s’en fout de ce qui s’est passé avant dans ma vie, on s’en fout que je me sois mise à l’écriture tard, que je doive suer sang et eau sur chacun des mots que je pose sur le papier. Ce qui compte, c’est que j’aime ça (écrire, bien entendu, pas souffrir ^^). Et ça suffit. Ça suffit largement.

Alors, à toi qui galères parce que tu ne sais pas si tu as les idées qu’il faut pour écrire ton histoire, qui a peur de manquer de souffle, d’inspiration, en cours de route, persiste ! Va chercher l’inspiration au bout du monde s’il le faut, car si tu attends qu’elle vienne, tu risques de ne jamais l’écrire, ce roman. Et ce serait dommage, non ? Alors écris. Même si c’est pas définitif, même si c’est mauvais, même si c’est dans le désordre, même si c’est pour supprimer à la fin et tout refaire deux fois, dix fois, cent fois. Parce que de la même manière que l’appétit vient en mangeant, l’inspiration vient en écrivant. Et puis un jour, à force d’écrire, de réécrire, de supprimer, de déplacer, de corriger… tu réaliseras que tu l’auras terminé, ton roman.
Et tu seras fier/fière de toi de ne pas avoir baissé les bras.

Mercredi écriture – De la difficulté d’écrire les premiers chapitres

«On peut tout corriger, sauf ce qui n’existe pas.»

(Cet article reprend en partie une publication que j’avais faite sur Instagram il y a quelques mois, donc si vous avez une sensation de déjà-vu… c’est normal! ^^)

 

Il y a quelques semaines, dans son groupe Facebook Les Masterclass de Roxane Dambre, la très talentueuse Roxane a exposé une description des différents profils de romanciers, au nombre de trois : les architectes, les jardiniers et les archéologues.

Les architectes font des plans hyper détaillés. Ils ont besoin d’un plan précis, besoin de savoir où ils vont, comment ils y vont, etc. et ne peuvent pas commencer l’écriture tant que tous les détails de leur histoire ne sont pas clairement établis.

Les jardiniers sont plutôt à l’opposé. Ils se lancent en freestyle absolu, avec juste un début d’idée. Ils cultivent leur idée et la regardent grandir, se laissent porter par elle.

Les archéologues, quant à eux, se lancent avec une idée et planifient rétroactivement, au fur et à mesure qu’ils avancent et que les idées leur tombent dessus.

Bien entendu, comme le précise très justement Roxane, chaque romancier possède un peu des 3 profils, avec une préférence marquée pour l’un ou pour l’autre, et ce trait peut changer en fonction du moment, du roman, des besoins du moment.

*

Je ne m’en suis jamais cachée, je n’ai jamais été capable de faire des plans, d’imaginer mon histoire jusqu’au bout, de définir mes personnages avant même d’avoir écrit la première ligne – et j’admire, profondément, et sincèrement, les écrivains qui le sont. J’aime à le dire, je suis une adepte de ce que Jo Ann appelle le «à la wanagain freestyle a bistoufly». Autrement dit, je suis surtout jardino-archéologue, mais en pire. Écrire, pour moi, c’est avant tout découvrir l’histoire, les personnages, leurs aspirations, leurs désirs secrets, leurs faiblesses. C’est un processus d’essai-erreur permanent, à base de bouts de papier et de ratures, de chapitres supprimés et de points de vue abandonnés, de moments de découragement et de moments d’illumination  – et un processus qui m’est absolument et complètement nécessaire. J’ai lu un jour un témoignage d’une auteure qui disait que pour elle, le premier jet est le moyen d’identifier le mode de narration qui servira le mieux l’histoire. C’est exactement le cas pour moi – et plus encore : le premier jet est aussi (et surtout, j’ai envie de dire) le moyen de découvrir l’histoire qui se cache derrière tous mes petits bouts de papier et toutes mes ratures.

Mon premier jet est donc généralement illisible : comme je me lance souvent avec à peine un début d’idée et une vague ébauche de mes personnages, je change d’avis toutes les trois pages, j’ai du jaune et des barres obliques partout pour marquer les points à creuser ou à changer, j’ai même parfois des phrases en anglais quand je n’arrive pas à trouver la tournure qui rend ce que je veux dire en français (le problème de vivre à moitié en anglais…). Le plus souvent, mes chapitres n’ont aucune cohérence, mes personnages ne sont plus du tout les mêmes entre le début et la fin, le style de narration change d’un chapitre à l’autre… Mais quand je finis mon premier brouillon (ce qui peut me prendre *beaucoup* de temps), je sais enfin non seulement qui sont mes personnages et quelles sont leurs motivations, mais aussi – et surtout – comment, moi, je veux raconter mon histoire. C’est alors que je reprends depuis le début, et que je réécris ce qui ne va pas pour essayer d’en faire quelque chose qui va.

*

Il y a une anecdote que j’aimerais vous raconter, pour illustrer ce propos, un événement qui a été pour moi comme une révélation avant l’heure, et dont l’enseignement que j’ai tiré se confirme à chaque fois.

Il y a quelques années, je visitais l’atelier d’un sculpteur sur marbre très talentueux, du côté de chez mes beaux-parents, et j’ai eu l’immense privilège de discuter de son art avec lui. Je n’écrivais pas encore à l’époque, mais la sculpture m’a toujours fascinée, et touchée d’une manière plus profonde que la peinture ne l’a jamais fait, alors j’écoutais ce qu’il avait à dire avec beaucoup d’intérêt. Et il m’a fait la remarque suivante : «mon travail, en tant que sculpteur, c’est uniquement de dévoiler la sculpture. Je ne la crée pas, l’œuvre est déjà là, dans le bloc de marbre, avant même que je ne l’amène dans mon atelier. Je me contente d’enlever le surplus de matière pour la rendre visible au reste du monde.»

Je n’ai jamais oublié ses paroles, parce que je pense que pour moi, c’est exactement la même chose. Les personnages, l’histoire que je veux raconter, existent déjà quelque part dans mon esprit, dans cet univers fictif qui occupe tout l’espace dans ma tête. Ils sont là, et il faut juste que je parvienne à les voir, à discerner leurs traits, leur silhouette, pour pouvoir en retirer toute la matière superflue. Et ma méthode à moi, pour y parvenir, c’est d’écrire, et de réécrire, beaucoup. Jusqu’à ce que les choses coulent toutes seules, jusqu’à ce que je sente, dans le creux de mon ventre, cette excitation, ce sentiment si particulier à l’écriture (peut-être même à la création artistique en général) qui me fait dire «ok, c’est ça. C’est exactement ça.» Alors je sais que j’ai mis le doigts sur un point important – et comme dans un puzzle, tout se met en place ensuite, et je me demande comment je ne l’avais pas vu avant.

*

Je ne vous le cache pas, c’est un processus qui est parfois (souvent) frustrant et extrêmement chronophage, mais c’est le mien. J’ai bien essayé de faire autrement, mais je n’y arrive pas. La dernière fois que j’ai fait un plan, il a explosé au chapitre 2. Sur 37. Pourtant, j’ai essayé de recommencer, encore et encore, de faire des plans, de faire des fiches de personnages, de me mettre dans la peau d’un architecte. D’imaginer, de visualiser. En vain. Je perdais finalement plus d’énergie à essayer de rentrer dans un modèle qui ne me convenait pas. Alors, enfin, au bout de six ans, j’ai fini par en prendre mon parti, et cessé de vouloir aller à contre-courant de moi-même et de mes instincts. Et j’accepte d’écrire du mauvais, pour pouvoir ensuite faire du bon.

Parce qu’au final, il n’y a pas de bonne ni de mauvaise méthode. Il n’y a que des individualités, des unicités, des artistes qui veulent s’exprimer, de la manière qui leur correspond.

Et c’est bien tout ce qui importe, en fin de compte.

 

***

 

Un grand merci à Roxane de m’avoir autorisée à reprendre ses propos. Si vous aussi, vous voulez rejoindre le formidable groupe Les Masterclass de Roxane Dambre, afin d’avoir le soutien et l’aide de romanciers débutants ou confirmés, je vous renvoie sur son site internet !! Tout y est !

Mercredi écriture – Le syndrome de l’imposteur

«Je suis nulle, je n’y arriverais pas, je ne sais même pas pourquoi j’essaie. Je ne vaux rien!»

«Je ne suis pas légitime en tant qu’auteur(e), j’écris sans méthode, je ne mérite pas de me qualifier d’écrivain(e)…»

«Un jour, quelqu’un chez mon éditeur va se réveiller et me dire que c’était une erreur, que ce n’était pas mon roman qu’ils voulaient, mais celui juste en dessous dans la pile.»

«Ce roman, c’était complètement un accident. Jamais je ne serai capable de recommencer cet exploit.»

***

Si toi aussi, tu as déjà pensé l’une de ces phrases (ou toutes ces phrases) (ou toute variante de ces phrases), alors comme moi, tu souffres du syndrome de l’imposteur.

Le syndrome de l’imposteur, c’est ce sentiment que tu ressens quand tu as accompli quelque chose (au hasard… quand tu as écrit un roman, par exemple), mais que tu es convaincu que c’était juste un accident, un heureux hasard, parce que tu n’as pas réellement ce talent et ces compétences que les autres te prêtent. C’est ce sentiment qui te fait penser qu’un jour, quelqu’un va voir au travers de toi, réaliser que tu n’as pas ta place parmi les auteurs (ou quel que soit le milieu dans lequel tu évolues et dans lequel tu ne te sens pas légitime), que tu n’es qu’un imposteur. Que ce n’est vraiment qu’une question de temps avant que tu sois démasqué.

Rassure-toi, cher lecteur, c’est un phénomène répandu, et tu es loin d’être le seul à souffrir de ce syndrome. Une grande partie de la population – dont, par exemple, des auteurs célèbres et reconnus, dont tu lis les romans avec le regard brillant en te disant « un jour, quand je serai grand, j’aimerais bien avoir autant de talent ! » – souffre de ce syndrome, d’une manière plus ou moins importante.

 

Un jour, sur un groupe américain consacré à la romance, je discutais avec une auteure invitée à l’occasion de la sortie de son nouveau roman. Dans le cadre de la discussion, elle nous demandait de partager notre plus grande réalisation. Alors j’ai parlé de mes romans, expliquant que le manque de confiance en moi était souvent difficile à surmonter, parfois même réellement handicapant, que la petite voix qui me répète tous les matins que je ne vaux rien était si forte, certains jours, que je n’arrivais pas à en faire fi. Mais que malgré tout, j’étais fière d’avoir réussi à les publier, ces romans, même si je n’étais pas sûre de vraiment mériter tout ce qui m’arrivait. Vois-tu, cher lecteur, cette auteure m’a fait la plus étonnante des réponses. Elle m’a répondu que c’était pareil pour elle (gasp!), qu’elle aussi devait gérer cette pénible petite voix qui ne voulait jamais se taire (double gasp!), et qu’elle aussi, parfois, était convaincue de ne pas avoir de talent (triple gasp!). Mais elle a ajouté ensuite qu’il ne fallait pas l’écouter, cette petite voix. Qu’elle ne devait pas son mot à dire dans nos projets, et qu’il fallait poursuivre, malgré elle, malgré tout. Qu’il fallait écrire, sans se décourager. Jamais.

Je ne vous cache pas que j’étais vraiment très surprise de sa réponse. Comment était-ce possible que cette formidable auteure, qui avait de très nombreux romans à son actif, des romans qui se vendent par millions et qui sont diablement bons (je le sais, je les ai lus !), souffre du même syndrome de l’imposteur que moi, qui ne suis personne ? Comment pouvait-elle, elle, douter de sa légitimité en tant que romancière ?

La réponse est simple : c’est tout simplement parce que peu importe la notoriété, peu importe l’expérience, peu importe le nombre de fois que le monde extérieur nous dit et nous répète qu’on a du talent – et peu importe toutes les preuves que l’on peut recevoir de notre légitimité, de notre talent  -, nous sommes toujours et systématiquement notre premier critique – et, le plus souvent, un critique à charge, impitoyable et sans merci. Du moins, c’est le cas pour moi. La pression que je me mets sur les épaules est un million de fois plus élevée que celle que le monde extérieur m’impose – au point que je ne me sens jamais à la hauteur, ni des attentes des gens ni (encore moins même) des objectifs que je me suis fixés.

En gros, je m’attends à échouer et à décevoir mon entourage. À chaque. Maudite. Fois.

 

J’ai longtemps réfléchi à cette problématique, pour trouver une solution. Je ne veux plus qu’elle me bloque, je ne veux plus passer ma vie à penser que je ne vaux rien. C’est destructeur, ça me fait souffrir inutilement, et en plus, ça me fait perdre beaucoup trop d’énergie. Une énergie que je pourrais utiliser à meilleur escient. Pour écrire, par exemple, au lieu de regarder une page blanche en me disant que vraiment, je ne mérite pas mon titre d’auteur, vu que je suis incapable de rédiger deux paragraphes sans les réécrire un milliard de fois – et de changer d’avis à chaque fois.

Mais comment la faire taire, cette satanée petite voix ?

Et puis, un jour, j’ai compris.

Ce n’était pas de la faire taire dont j’avais besoin, mais plutôt d’apprendre à vivre avec. À l’accepter. À l’utiliser comme un tremplin pour me propulser vers l’avant, pour me dépasser – mais sans jamais la laisser me prendre à la gorge, et m’étouffer complètement, comme ça arrive parfois (souvent).

S’il y a une chose que j’ai compris, ces dernières années, c’est qu’il ne sert à rien de vouloir se débarrasser de ce qui nous constitue, de ce qui fait que nous sommes qui nous sommes, en tant que personne, et en tant qu’artiste. Il faut accepter le bon, comme le mauvais, et travailler avec ce qu’on est, plutôt que de chercher à devenir ce qu’on est pas. Ce qui veut dire, dans mon cas, par exemple, accepter la muse, les illuminations au milieu de la nuit ou dans la douche, les papillons dans le ventre quand j’écris quelque chose qui me plaît… mais aussi le manque de méthode, l’incapacité de faire un plan, les doutes, le découragement chronique – et le syndrome de l’imposteur.

Parce qu’ils font partie de moi, que je le veuille ou non.

Bien entendu, accepter cette voix est loin, très loin, d’être une sinécure. Après tout, si tout était simple dans la vie, ça se saurait. Et certains jours, quand je me sens plus fragile, plus perméable aux pensées négatives, parce que le chapitre que je suis en train d’écrire me pose des difficultés (le cas le plus fréquent), parce que j’ai lu une mauvaise critique sur Internet (dur), ou encore parce que je réalise que mes efforts ont du mal à payer, que je tourne en rond sans avoir l’impression d’évoluer, faute de temps, faute d’écrire assez vite (cas assez fréquent aussi), ça me semble même carrément impossible, je ne vais pas mentir. Parce que le syndrome de l’imposteur est sournois, il s’engouffre dans toutes les brèches qui se présentent et profite de chaque instant de faiblesse pour venir ficher le boxon dans ma tête. Mais vous savez quoi ? C’est pas grave, en réalité. Parce que ce qu’il faut comprendre, c’est que comme tout, c’est un état provisoire, qu’il faut laisser passer. On ne se sent pas perpétuellement un imposteur. Ça fonctionne comme l’angoisse : par crises, plus ou moins aiguës, plus ou moins longues, mais toujours, toujours temporaires. Alors, quand ça arrive, je m’efforce de laisser faire, d’accepter que la petite voix tannante soit plus présente que les autres jours. Et je m’efforce de l’aborder (de m’aborder, même) avec indulgence – parce que, si le fouet, ça fonctionnait, ça aussi, ça se saurait. J’essaie d’accepter que je ne suis pas parfaite (mais qui l’est ?), d’accepter que je fonctionne d’une manière qui n’est, certes, pas orthodoxe, et peut-être (sûrement) trop brouillon et chronophage pour être réellement efficace – mais cela ne fait pas de moi une personne moins légitime pour autant. Je me répète que le syndrome de l’imposteur ne me définit pas, mais les romans qui trônent dans ma bibliothèque et leurs traductions, si. Je me répète qu’il n’est que la manifestation d’un doute, et que le doute est naturel, humain, que c’est lui qui nous pousse à devenir toujours meilleurs, à ne pas se contenter du moins mauvais, mais d’aller chercher jusqu’au plus profond de nous ce que nous avons de meilleur.

Mais surtout, quand ça arrive, je continue à écrire. Même si c’est mauvais, même les mots sortent difficilement, j’écris. On peut tout corriger, sauf ce qui n’existe pas, c’est mon crédo. Alors j’écris, et j’écris encore. Et puis, au bout d’un moment, les mots, mes mots, finissent par faire la petite voix et me prouver, à eux tous seuls, que oui, je suis légitime. Que oui, je mérite tout ce qui m’arrive de bien, parce que je travaille suffisamment fort pour ça.

Et que oui, j’ai tout à fait ma place aux côtés des auteurs que j’admire.

Et ça, ça fait du bien. Vraiment du bien.

 (la fameuse pile qui me prouve ma légitimité, en cas de doute…)

 

Bien entendu, cette technique m’est toute personnelle, et elle peut ne pas fonctionner pour d’autres personnes, d’autres personnalités. On ne réagit pas tous aux mêmes stimuli, et l’élément déclencheur de l’un n’est pas le même que celui de l’autre. Alors si vous avez d’autres techniques, d’autres astuces pour gérer le syndrome de l’imposteur, ou l’exploiter pour vous aider, j’aimerais vraiment les connaître – n’hésitez pas à les partager en commentaire, ou à parler de votre relation avec “la petite voix”. Je mettrai à jour le billet en fonction de vos témoignages !

Sur ce… à très vite, chers lecteurs, pour d’autres réflexions sur l’écriture !

(Si vous avez des sujets que vous voudriez que nous abordions, n’hésitez pas !! J’envisage de faire des billets comme celui-ci régulièrement, si j’ai de la matière ! )